
Un jour un médecin m’a dit « Ce sont ceux qui ne tombent pas en burnout dont il faut s’inquiéter ». Il entendait par là qu’au vu de la société dans laquelle nous vivons, « tomber en burnout » devrait arriver à n’importe qui. Je suis pour ma part convaincue qu’on ne peut comprendre le burnout que si on le replace dans un contexte plus large qu’est celui de notre société. Repenser le burnout, c’est quelque part, repenser la société, repenser notre façon de vivre. C’est pourquoi si le burnout peut s’expliquer par une multitude de facteurs, certains professionnels, d’autres personnels, cet article mettra en lumière 10 raisons propres à notre société qui peuvent conduire au burnout.
- Notre rapport au temps et le besoin de ralentir
Depuis le 17e siècle, des révolutions comme l’invention de la première horloge, des chemins de fer, du contrat de travail basé sur le temps presté, nous conduisent à modifier notre rapport au temps et à nous synchroniser. Et lorsque le temps devient de l’argent, que le temps est limité et que les ressources rares sont chères, notre temps devient précieux. Il faut donc rentabiliser son temps. Ainsi, la vitesse moyenne de marche dans les grandes villes a augmenté au cours des dernières années. Ainsi, les notions de « pression temporelle » ou de « charge de travail » peuvent voir le jour. Toutefois, ne nous y trompons pas. Nous courrons au travail mais nous courrons probablement le reste de notre vie. Les pauses pour reprendre son souffle sont jugées comme une perte de temps. Le corps peut alors lentement mais sûrement s’épuiser. Le burnout est un appel à ralentir. - La diminution du sens et le besoin d’en retrouver
Au cours du dernier siècle, on constate que la capacité à faire sens a diminué. D’entrée de jeu citons une difficulté plus grande se sentir à la « bonne place ». En effet, les instances collectives qui nous suivaient tout au long de notre vie ne le font plus : diminution de l’importance de l’Eglise Catholique, fragilisation des familles (divorce, famille recomposée…), changement professionnel (turnover, flexibilité salariales…). En outre, la nécessité de se faire une opinion par nous-même (multi-culturalité, faire ses propres choix…) nous confronte à la question « est-ce que nos actions sont les bonnes ? ». Troisièmement, si autrefois, la spiritualité était une affaire collective, il ne tient aujourd’hui qu’à chacun de développer sa propre spiritualité. Or si la science permet de répondre à la question du « comment », la spiritualité permet d’aborder la réflexion du « pourquoi » et expliquer pourquoi un évènement se produit c’est donner du sens à ce qui nous arrive. Enfin, au cours des dernières années, on voit s’amoindrir les rites, rituels, traditions qui rythment les saisons et favorisent la création de liens sociaux, de symboliques, de partages et donnent du sens aux quotidiens dans nos vie et dans les groupes. Le burnout est un moment privilégié pour remettre du sens dans nos vies. - Notre rapport à l’argent et le besoin de redéfinir nos priorités
Bien que la réalité est bien plus complexe qu’expliquée dans cet article, il me semble important de souligner la place que prend l’argent au sein du monde professionnel. Pour qu’une entreprise en Belgique persiste dans le temps, il faut qu’elle gagne autant (voir plus) d’argent que ce qu’elle n’en dépense. Une organisation est composée de travailleurs. Par définition, un travailleur souhaite au minimum être rémunéré, voire bien souvent obtenir les meilleurs avantages (vacances, horaires, voitures de société, chèque repas…). Enfin, ajoutons à ce schéma un troisième acteur, le client. La compétitivité qui s’installe entre les entreprises donne au client une position de pouvoir. En effet, si le client n’est pas content, il ira voir ailleurs. Or, le client lui aussi souhaite obtenir le meilleur service/produit, le plus rapidement possible et c’est encore mieux s’il est à un prix abordable. Nous nous retrouvons donc dans ce schéma très simplifié avec une entreprise pressée par la nécessité de survie, les demandes des travailleurs et les attentes des clients. Ce schéma ne prend pas en compte d’autres variables notamment légales, politiques, actionnaires, humaines… Toutefois, il nous permet déjà de comprendre qu’à partir du moment où une bouteille est pressée de partout, il faut bien que la pression s’évacue quelque part. Et où une telle pression peut-elle sortir dans une entreprise ? Là où les limites sont beaucoup plus floues… Par exemple, les facteurs non repris dans le contrat de travail (quantité de travail sur une heure, possibilité de faire des heures supplémentaires, reprise du travail à la maison…) ou encore auprès des travailleurs avec une personnalité telle que mettre ses limites est compliqué. Le burnout est un appel à redéfinir, reclarifier ses limites et ses priorités. - L’apparition des technologies et le besoin de reprendre le contrôle de nos vies
Le GSM ou encore l’ordinateur ont révolutionné notre vie et le monde du travail. Toutefois, ils s’accompagnent de désavantages notamment une porosité plus grande de la frontière entre le travail et notre vie privée et inversement. Il est aujourd’hui plus facile de reprendre le travail à la maison et notre vie privée au travail. Il est dès lors plus aisé pour un travailleur de faire des heures supplémentaires. En outre la technologie facilite la capacité de surveillance, de contrôle ou encore de formalisation. Il en découle que le travailleur peut perdre peu à peu les marges de manœuvre qui sont les siennes. Or, le burnout peut découler d’un manque d’autonomie. En outre, l’augmentation des démarches administratives associées à la technologie augmente le temps de travail et modifie le métier pouvant provoquer une souffrance au travail, particulièrement dans les métiers à vocation (soin, enseignement…). Enfin, le développement du télétravail et des rencontres à distances diminuent le support social, la communication et la compréhension au sein d’une équipe, supprimant par la même occasion les ressources les plus importantes pour protéger d’un burnout. Le burnout est un appel à reprendre le contrôle de nos vies. - L’instabilité et le besoin de retrouver une stabilité intérieure
Notre société au cours des dernières années s’est vue traversée par des remises en question qui ont provoqué une instabilité. Pour n’en citer que quelques-unes, nous pouvons parler des crises financières, de la crise environnementale, des crises politiques ou encore de la crise sanitaire. Ces phénomènes collectifs qui nous touchent, nous déstabilisent et peuvent faciliter l’apparition de souffrances psychologiques. Le burnout est un appel à retrouver une stabilité intérieure face à l’adversité. - Les difficultés de recrutement et le besoin de repenser le travail
Demander du renfort supplémentaire, c’est possible mais si ce renfort ne vient pas, comment diminuer la charge de travail ? Face à cette problématique, les entreprises se retrouvent bien démunies. En l’absence de solutions, les équipes peuvent donc se retrouver de longues périodes face à une quantité de travail importante. Le risque d’absentéisme ou encore de turnover augmente. L’équipe peut donc encore se rétrécir, entrainant un cercle vicieux dont il semble difficile de se défaire. Le burnout est un appel à repenser le travail. - Le coronavirus et le besoin de se rééquilibrer
Il est difficile de parler des facteurs sociétaux du burnout sans aborder cette période particulière que nous avons traversé. Le coronavirus et plus particulièrement le confinement qui en a suivi a eu plusieurs conséquences sur la santé mentale des travailleurs et sur le fonctionnement des entreprises. Tout d’abord, le confinement a modifié ou a supprimé nos hobbies, passions (moments privilégiés pour se détendre et récupérer de l’énergie) ; nos rapports familiaux (séparation, deuils ou vivre constamment ensemble) ; nos rapports amicaux (éloignement) ; ou encore nos rapports professionnels (télétravail ; peur ; absence de travail ; surcharge de travail ; chômage). Ce confinement nous a donc tous ébranlé à un niveau ou à un autre. Les comportements de stress dans les équipes ont donc probablement été plus présents (incompréhension, conflit, diminution de la performance…). C’est pourquoi cette période est connue en dynamique de groupe comme étant un analyseur. Autrement dit, elle a permis de mettre en évidence des dysfonctionnements qui étaient déjà présents mais qui vont être exacerbés par le contexte social. Le burnout c’est un appel à se rééquilibrer.
- L’éducation et le besoin de la transformer à l’avenir
Pour réussir à l’école, il faut avoir 5/10. Pourtant, j’entends régulièrement des enfants dire « 5/10 ce n’est pas assez… Il faut avoir 10/10 et avec la question bonus, ça nous donne 11/10 ». A l’école, une fois que nous avons atteint le maximum, nous ne savons pas aller plus haut. Nous pouvons être contents. Toutefois, dans la vie, qu’est-ce que c’est être un parent parfait ? Un collègue parfait ? Un conjoint parfait ? Quand avons-nous atteint la perfection ? Cette recherche de la perfection peut conduire in fine à l’épuisement. Le burnout c’est un appel à transformer l’éducation que nous offrons à nos enfants. - La place du travail dans nos vies et le besoin le remettre à sa juste place
Que faites-vous dans la vie ? La réponse la plus classique est de se présenter à travers son travail. Je suis électricien, ingénieur, photographe… Nous aurions pu dire que nous étions parents ou passionnés de musique. Toutefois, bizarrement, même si être parent peut prendre autant d’énergie qu’un travail, ces réponses ne nous viennent pas spontanément à l’esprit. Et pour cause, dans nos sociétés, le travail est une identité. Il est dès lors très fréquent que le travail prenne toute la place. Les attentes par rapport au travail vont donc augmenter. Si avant, en échange d’une profession, on demandait à pouvoir manger, se loger et dormir. Aujourd’hui, un travail devrait permettre l’épanouissement. Il est cependant beaucoup plus facile pour une organisation de répondre à la première demande qu’à la seconde. Enfin, imaginons qu’un travailleur vive un épisode difficile dans une entreprise. Ce dernier sera plus résilient face aux difficultés si son travail ne représente qu’une partie de sa vie. En effet, il lui reste toujours des passions, une famille ou encore des amis à côté de sa profession. Le burnout c’est un appel à remettre le travail à sa juste place. - L’importance de la pensée et le besoin d’écouter son corps
Nous vivons dans un monde où il faut toujours penser… à ce qu’il y a à faire, à dire, à rectifier… Or à force de penser, nous pouvons nous stresser, être hier ou demain en oubliant de vivre l’instant présent. L’utilité première du stress, c’est le mouvement (soit fuir, soit attaquer). Cependant comme nous vivons également dans un monde où nous bougeons peu, le stress ne s’évacue pas, nous conduisant à accumuler jusqu’au moment où trop, c’est trop… Le burnout c’est aussi un appel à revenir à soi et à son corps oublié bien souvent devant l’intensité de nos pensées.
Le burnout n’est pas un appel à la critique, que du contraire, c’est un appel à se recentrer sur l’essentiel, modifier ce qui nous semble aller de soi pour un meilleur équilibre et accepter de redevenir humain avec ses fragilités, ses émotions, son corps mais aussi ses forces et son caractère profondément social.
Janvier 2023
Magali Jemine
Psychologue du travail, coach, formatrice, art-thérapeute, dynamicienne de groupe
Responsable de Sens et Company